« De nature transitoire, je m'étais attaché à une chose transitoire, conformément à ma nature – tout cela n'appelait aucun commentaire particulier ». (M. Houellebecq,
Plateforme, p. 333).
Au lecteur capable d'en dévorer les pages, de finir au bout de quelques heures
Plateforme, roman de Houllebecq, j'aurais envie de lui suggérer que la raison d'une telle vitesse de lecture n'est pas seulement due à l'attachement que donne la récurrente méticulosité de descriptions des actes sexuelles. Il doit y avoir une participation à l'écriture dans l'acte de lecture, une sorte d'écriture dans l'esprit. La participation à l'écriture
de Houllebecq s'accellère par la sexualité. Mais si le lecteur croit qu'il s'agit là d'une part maudite, elle est en réalité légère, répandue, et peut-être pas aussi maudite que cela.
La matière des romans de Houllebecq, à l'exception de
La possibilité d'une île, qui propose une mise en page et l'entrée en jeu de la science fiction et aussi de
Les particules élémentaires, à cause d'un caractère plus théorique, suite à la découverte de Michel Djerzinski sur l'origine du lien entre les particules), est à phases alternes. C'est un signe stylistique fort de ses romans, qui marque cependant sa platitude. Des moments (très ou trop longs) de vrai bavardage entre les personnages (des discussions sur le travail concernant le travail même, souvent complètement décousues de l'histoire principale ou d'un parcours de formation des personnages) laissent la place à une écriture absolument nihiliste dans son fond, privée de toute mise en valeur d'aspect du réel – au sens fort d'un surgissement quelconque de valeurs morales ou existentielles – Houllebecq transporte ses lecteurs dans une sexualité effrénée non pas au sens outrancier à la Sade (lié à la mise en abîme du désir), mais au sens d'un homme quadragénaire du troisième millénaire,
encore amoureux de l'amour. L'actualité romantique élevé au rang du sexe, on pourrait dire. Le sexe est en partie alors le fil rouge que anime le livre, dans ses caractères les plus « pornement » matérielles. Voici un exemple:
« Elle m'attira vers elle et chuchota à mon oreille: « Viens... ». A ce moment, je sentis les parois de sa chatte qui se refermaient sur mon sexe. J'ai eu l'impression de m'évanouir dans l'espace, seul mon sexe était vivant, parcouru par une ombre de plaisir incroyablement violente. J'éjaculais longuement, à plusieurs reprises; tout à fait à la fin, je me rendis compte que je hurlais. J'aurais pu mourir pour un moment comme ça ».
Mais la matérialité n'est qu'apparente. Le sexe est fonction de l'amour chez Houllebecq. De manière analogue à l’héroïsme chevaleresque dans le Moyen-Age. La sexualité, recherché un travers de l'amour (
Plateforme) ou du besoin d'amour (
La Possibilité d'une île) ou de l'attente de l'amour (
Les Particules élémentaires), n'a aucune valeur en soi. Houellebecq voit juste, dans l'époque du "nihilisme" des masses, ce que ses lecteurs ne peuvent pas voir. C'est pour cela que son écriture de la platitude est en réalité une écriture du cœur de notre temps, au cœur de ses lecteurs.
Le pressentiment, c'est donc que nous méritons cet auteur, qui ne dépassera jamais cette époque. Il l'incarne comme le
nec plus ultra de cette époque, son représentant suprême, on pourrait dire en exagérant: son prophète. La parole du prophète qui s'empare de sa réception Et cela non pas à cause d'une quelconque médiocrité de son oeuvre, qui meme a été évoquée par des critiques. C'est parce que la pornographie de ses images ne fait que réaffirmer, en la véhiculant, la vision de l'amour telle que la tradition nous l'a transmise: comme unicité de son objet et comme fil tendu au-delà du rapport sexuel. Et cet objet du désir (Valérie, Isabelle), matériellement saisi sans altérité sinon dans celle qui va se mettre en évidence dans le rapport sexuel, va etre perdu de manière tragique, ou interrompu
per causa di forza maggiore. Si les rapports échouent, ce n'est que par des raisons de finitude ou de circonstance.
« Valérie [...] faisait partie de ces êtres qui sont capables de dédier leur vie au bonheur de quelqu'un, d'en faire très directement leur but. Ce phénomène est un mystère. En lui résident le bonheur, la simplicité et la joie » (
Plateforme, p. 349)