
« Si
seulement j’étais un pigeon…ce monde est trop petit pour aimer, trop
petit ! ».
Farrokhzad, Ce petit monde, p. 255
Il n'y a mouvement que si la totalité n'est ni donnée ni donnable.
(G. Deleuze, Cinéma 1)
Au sein d'un atelier artistique, j'ai eu l'occasion de rencontrer Abbas Kiarostami, et surtout de passer avec lui une matinée.
Le sujet de l'atelier était "l'hiver", et en particulier "janvier".
Mais, en plus de
ce sujet retenu, de cet axe commun décliné singulièrement et pluriellement par les étudiants, dans
les recommandations (au sens étymologique de re- (intensif) et accommandare,
donner en garde plutôt que « commander ») que Kiarostami donnait dans le calme de son persan, sur toutes s’est imposée à
mes yeux cette recherche de la stabilité dans les plans: une stabilité laissant le libre dégagement d’un mouvement non-biaisé en amont par l'artiste. Une claire position non pas en
faveur d’un style expressif à privilégier, mais une lutte contre la gratuité du
geste artistique, contre une esthétique violente. « Rien n’est moins simple que
d’être simple », se dit dans Copie Conforme
Un jour, avec un petit groupe et grâce à un ami sculpteur, j’ai eu la chance unique de l'accompagner
lors d’une promenade dans la forêt enneigée.
Avant qu’on arrive,
j’avais une place étrange, une place marginale ou peut-être d’exception : dans la
voiture, cette Voiture comme « boite à regard » (dit Nancy dans L'Evidence du film), voire dans
le siège arrière, rarement assigné dans vos films, place impossible comme poste
d’acteur, où la parole viendrait de derrière, sans égalité possible. La voiture est aussi le lieu de ce tournage imaginaire de l’enfant, à partir justement du siège
arrière, dans le deuxième volet (Et la vie continue) de sa trilogie, dans ce film charnière du passage entre un cinéma fait par les enfants et les adultes
dans sa cinématographie : c’est le lieu où ils communiquent et où il y
a une relation et synchronique entre des non-égaux, et diachronique de passage des
consignes, puisque la figure de l'enfant va dispaître.
En revanche, à partir de l'arrière, j'ai pu voir son regard : j'a suivi la ligne du
profil de Kiarostami à droite, à gauche – et devant, j'ai cherché dans son ferme regard le mouvement du feuillage. J'ai ensuite regardé dans l’écran de sa caméra (posée soigneusement
sur le tableau de bord avec une écharpe comme socle improvisé, pour que les accélérations ne lui
créent pas de faux mouvement), comme pour en saisir un secret.
Puis, une fois arrivés dans la foret, il m'a conduit en me prenant le pas. Et moi, le poursuivant ou poursuiveur, j'ai dû emboiter mes pas aux siens, et surtout éviter d’augmenter le pas pour le suivre (et puis, pour aller où sans son guide ?).
J'ai eu l'occasion de l'arrêter une fois, en regardant des feuilles mortes dont la branche envahissait plus que d'autre son chemin. J'avais remarqué comment ni l'automne ni l'hiver les avaient faites tomber, et qu'elles allaient sans doute attendre le printemps pour se détacher du lieu de leur mort. Kiarostami a hoché la tête et dit qu'elles attendent bien de voir les jeune feuilles pousser pour être sûres de leur laisser la place.
Nourri de poésie persane et dans mes yeux le documentaire Roads of Kiarostami, vu quelques jours auparavant, j’ai alors marqué ce haïku (qui n'a pas son courage d'être en vers libre), en anglais, puisque c'est la langue par laquelle nous communiquions :
Puis, une fois arrivés dans la foret, il m'a conduit en me prenant le pas. Et moi, le poursuivant ou poursuiveur, j'ai dû emboiter mes pas aux siens, et surtout éviter d’augmenter le pas pour le suivre (et puis, pour aller où sans son guide ?).
J'ai eu l'occasion de l'arrêter une fois, en regardant des feuilles mortes dont la branche envahissait plus que d'autre son chemin. J'avais remarqué comment ni l'automne ni l'hiver les avaient faites tomber, et qu'elles allaient sans doute attendre le printemps pour se détacher du lieu de leur mort. Kiarostami a hoché la tête et dit qu'elles attendent bien de voir les jeune feuilles pousser pour être sûres de leur laisser la place.
Nourri de poésie persane et dans mes yeux le documentaire Roads of Kiarostami, vu quelques jours auparavant, j’ai alors marqué ce haïku (qui n'a pas son courage d'être en vers libre), en anglais, puisque c'est la langue par laquelle nous communiquions :
Behind your distance
An irretrievable path
No hesitation.
Au retour en ville, nous
étions devant une voiture garée : une des celles dont les détails sont aujourd'hui exposés. Il filmait et photographait de la neige
fondant sur les vitres d’une voiture, dont on apercevait mal l'habitacle.
Une dame s'arrêta pour me demander "que voulait cet étrange et mal habillé Monsieur qui prenait de la neige sur les voitures en photo, et pourquoi, et s'il avait des mauvaises intentions" (comme si elle voyait sa caméra filmant un plus-loin-du-champ malin). En la priant de ne pas le déranger, je lui ai dit qu'un hors-champ de la profondeur sur l'objet ne l'aurait pas intéressé, son hors champ est un hors champ de l'invisible, un hors champ du spectateur et non pas un hors-champ du monde filmé.
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